Article de Said Ait Mebarek - Le Soir d'Algérie - 24 mai 2014
Photos : Bouchra Bendris
Rencontre sur le mode du voyage et de la recherche du temps perdu.
Ce raccourci résume l’esprit de la balade littéraire autour du roman effectuée avec Samir Toumi invité, vendredi dernier, du café littéraire et philosophique de l’entreprise Emev dirigée par le dynamique Malek Amirouche dont l’initiative de déplacer ce rendez-vous littéraire, habituellement organisé à Tizi-Ouzou, vers la ville de l’ex-Fort-National, a donné un éclat particulier à un événement qui a permis la convergence de deux passionnés des mots et de la ville, en l’occurrence Samir Toumi, l’écrivain, et Lynda Ouar, l’architecte dont les quêtes obsessionnelles autour du temps et de l’espace sont une invite à l’anamnèse commune, un voyage dans le temps pour donner du sens à un présent tourmenté, une quête d’équilibre dans le chaos existentiel.
En véritable arpenteurs du temps, l’architecte et le romancier tentent, à travers leurs expériences respectives, d’explorer le passé pour reconstituer les pans d’une mémoire oblitérée par le temps et, par ricochet, une identité altérée par les contingences de l’existence.
De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen : les murs de la ville pour dire l’histoire
En guise de prologue aux mots de Samir Toumi dont la conférence s’est déroulée à la bibliothèque communale, l’architecte Lynda Ouar a proposé un voyage dans la mémoire architecturale de Larbaâ- Nath-Irathen. «De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen» est le thème de la visite guidée que l’architecte a effectuée avec et au profit des jeunes lycéens et collégiens de l'association Tiddukla Tidelsant Igawawen.
Un moment ludique, de découverte et de partage qui a permis à la vingtaine de filles et de garçons issus des collèges et lycées des Ath-Irathen de s’immerger dans le passé et l’histoire de leur ville dont la prise par l’armée coloniale, au XIXe siècle, et l’érection des fortifications autour de la cité dont ne subsiste, aujourd’hui, que peu de traces, marquent la domination totale de l’Algérie par l’armée d’occupation française. L’évocation de ce détail de l’histoire de la conquête française de la Kabylie est un témoignage aussi de la résistance héroïque des tribus kabyles à l’armada coloniale.
L’architecte a illustré la balade touristique à travers les différents lieux historiques et les sites emblématiques de la ville par des photos de l’époque, des plans d’archives et des commentaires. Le récit qui permit de revisiter l’histoire d’une ville à laquelle les Français donneront le nom de Fort-Napoléon est une façon de «susciter une réflexion entre les acteurs institutionnels et les citoyens sur la valorisation et l’utilisation du patrimoine colonial dont le potentiel touristique peut devenir un levier économique important pour la région si des politiques adéquates sont mises en œuvre», explique la doctorante en architecture sur une page Facebook consacrée à son projet de promotion du passé urbanistique de sa ville dont les marqueurs essentiels sont des édifices et des ouvrages datant de l’ère coloniale. «Il ne s’agit pas d’un ressassement nostalgique, ni d’une célébration béate du passé colonial de notre ville, se défendent les organisateurs de la journée, mais une manière, ajoutent-ils, de se réapproprier une mémoire et une histoire marquée par les luttes, les sacrifices et la résistance populaire contre l’occupation coloniale française de l’Algérie».
Déambulations littéraires et oniriques sur fond de recherche proustienne
«D’une ville à l’autre !» La formule est de l’auteur de Alger, le cri qui marque ainsi la transition entre les mots de l’architecte qui a évoqué la mémoire et les murs de sa ville, Larbaâ-Nath-Irathen, et sa prise de parole dans l’après-midi, pour dire la sienne, Alger, à sa manière. L’intermède musical avant l’entame de la conférence est un moment suggestif et une invitation à l’exploration de lieux connus ou inconnus, en tout cas rêvés et fantasmés et qui sont suggérés par les trémolos et les intonations de tristes et mélancoliques de la voix de Malek Kezoui, un jeune chanteur non voyant qui ajoutent à l’intensité émotionnelle du moment. Un pathos qui inspire cette dégression au romancier qui laissera parler sa sensibilité pour saluer l’artiste. «Malek est un chanteur non voyant pétri de talent, il a illuminé son auditoire par l’émotion et la sensibilité qui émanent de sa voix. Une voix sublime qui rappelle celle de Césaria Evora. La ballade amoureuse qu’il a interprétée est un voyage mélodique. J’ai l’impression d’être entre la Kabylie, le Cap et le Portugal», enchaînera Samir Toumi, toujours sur le mode du voyage et de la quête de l’ailleurs.
Ecrire pour réparer les mutilations de la mémoire
La suite est une leçon de littérature sur l’usage du «je», le rapport au temps et à l’espace de l’auteur interrogé sur d’autres artifices littéraires utilisés dans son roman. L’échange sur un ton, un tantinet polémique, de l’écrivain avec son auditoire permit à l’auteur de Alger, le cri de s’expliquer et de justifier ses choix narratifs et, notamment, l’usage du «je», les raisons de la sublimation de sa ville.
«Pourquoi vous avez écrit Alger se mérite ?» interpellent certains intervenants qui voient dans la formulation de l’auteur une sorte de quant-à-soi de sa part, un appel à l’enfermement et au rejet de l’autre. Un jeune étudiant interviendra avec pertinence pour dire à Samir Toumi que beaucoup d’éléments et de détails rencontrés dans son roman lui rappellent l’épisode de la madeleine dans "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust, un romancier pour qui le thème de la mémoire et de la recherche des souvenirs sont des éléments mis en texte pour faire ressurgir des impressions, une ambiance rappelant le passé, à travers l’ensemble de son œuvre romanesque.
Samir Toumi, Dans "Alger, le cri", laisse libre cours, par l’entremise de son narrateur, à ses pérégrinations mémorielles. Entre délires oniriques, les effluves de sa mémoire où se mêlent les odeurs, les sons, les bruits et les lumières d’Alger, Samir Toumi avoue que son roman est le récit de ses «déambulations» dans la ville qui l’a vu naître et grandir et qui servira d’espace-temps à son expérience scripturaire. «Alger est mon thérapeute», avoue Samir Toumi, ajoutant pour mieux s’expliquer sa démarche d’écriture que le «je» du narrateur est un «je introspectif».
S’ensuivent d’autres explications sur le livre qui a été identifié comme étant fait sur et autour d’Alger. «J’avais envie de libérer une parole personnelle, exercice compliqué auquel Alger a donné le la. Etant natif d’Alger, cette ville m’a tenu la main ; elle a compensé ma difficulté à parler de moi. Ma balade à travers Alger m’a permis de libérer mes émotions, de mes délires, de mon angoisse», une manière de dire l’indicible par les mots, selon Samir Toumi. «Je suis dans la quête du cri mais je me rends compte que le cri n’est jamais personnel», reconnaît-il, réfutant être dans la nostalgie et la célébration narcissique de sa ville. «J’ai dit Alger se mérite, en ayant le regard juste et le sentiment qui me lie à Alger, car on peut passer à côté de quelque chose, s’il nous manque un détail, ce ‘‘je ne sais quoi’’ qui nous lie à cet espace», dira Samir Toumi.
Roman introspectif qui sonde les méandres d’une mémoire et d’un vécu personnels. Par le jeu de la métaphore, Samir Toumi est dans la recherche d’un univers perdu, celui de son enfance et de son passé ; il s’attache, par le truchement de la mémoire involontaire, à la manière de Marcel Proust, à recréer et à se réapproprier un passé et un univers perdu et enfoui sous les couches successives du temps. Il reste que Alger, le cri qui, même s’il est le reflet d’une expérience et d’un parcours individuels, est aussi un roman qui interpelle et provoque des résonances chez tout le monde. En recréant une proximité avec des lieux, des événements, une époque révolue, une ambiance du passé transgressés par le présent, Alger, le cri est aussi, par extension, le miroir d’une mémoire, d’une conscience collective.
S. Aït Mébarek
Photos : Bouchra Bendris
Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen, le 09 mai 2014 avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen |
Rencontre sur le mode du voyage et de la recherche du temps perdu.
Ce raccourci résume l’esprit de la balade littéraire autour du roman effectuée avec Samir Toumi invité, vendredi dernier, du café littéraire et philosophique de l’entreprise Emev dirigée par le dynamique Malek Amirouche dont l’initiative de déplacer ce rendez-vous littéraire, habituellement organisé à Tizi-Ouzou, vers la ville de l’ex-Fort-National, a donné un éclat particulier à un événement qui a permis la convergence de deux passionnés des mots et de la ville, en l’occurrence Samir Toumi, l’écrivain, et Lynda Ouar, l’architecte dont les quêtes obsessionnelles autour du temps et de l’espace sont une invite à l’anamnèse commune, un voyage dans le temps pour donner du sens à un présent tourmenté, une quête d’équilibre dans le chaos existentiel.
En véritable arpenteurs du temps, l’architecte et le romancier tentent, à travers leurs expériences respectives, d’explorer le passé pour reconstituer les pans d’une mémoire oblitérée par le temps et, par ricochet, une identité altérée par les contingences de l’existence.
De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen : les murs de la ville pour dire l’histoire
En guise de prologue aux mots de Samir Toumi dont la conférence s’est déroulée à la bibliothèque communale, l’architecte Lynda Ouar a proposé un voyage dans la mémoire architecturale de Larbaâ- Nath-Irathen. «De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen» est le thème de la visite guidée que l’architecte a effectuée avec et au profit des jeunes lycéens et collégiens de l'association Tiddukla Tidelsant Igawawen.
Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen, le 09 mai 2014 avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen |
Un moment ludique, de découverte et de partage qui a permis à la vingtaine de filles et de garçons issus des collèges et lycées des Ath-Irathen de s’immerger dans le passé et l’histoire de leur ville dont la prise par l’armée coloniale, au XIXe siècle, et l’érection des fortifications autour de la cité dont ne subsiste, aujourd’hui, que peu de traces, marquent la domination totale de l’Algérie par l’armée d’occupation française. L’évocation de ce détail de l’histoire de la conquête française de la Kabylie est un témoignage aussi de la résistance héroïque des tribus kabyles à l’armada coloniale.
Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen, le 09 mai 2014 avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen |
L’architecte a illustré la balade touristique à travers les différents lieux historiques et les sites emblématiques de la ville par des photos de l’époque, des plans d’archives et des commentaires. Le récit qui permit de revisiter l’histoire d’une ville à laquelle les Français donneront le nom de Fort-Napoléon est une façon de «susciter une réflexion entre les acteurs institutionnels et les citoyens sur la valorisation et l’utilisation du patrimoine colonial dont le potentiel touristique peut devenir un levier économique important pour la région si des politiques adéquates sont mises en œuvre», explique la doctorante en architecture sur une page Facebook consacrée à son projet de promotion du passé urbanistique de sa ville dont les marqueurs essentiels sont des édifices et des ouvrages datant de l’ère coloniale. «Il ne s’agit pas d’un ressassement nostalgique, ni d’une célébration béate du passé colonial de notre ville, se défendent les organisateurs de la journée, mais une manière, ajoutent-ils, de se réapproprier une mémoire et une histoire marquée par les luttes, les sacrifices et la résistance populaire contre l’occupation coloniale française de l’Algérie».
Déambulations littéraires et oniriques sur fond de recherche proustienne
«D’une ville à l’autre !» La formule est de l’auteur de Alger, le cri qui marque ainsi la transition entre les mots de l’architecte qui a évoqué la mémoire et les murs de sa ville, Larbaâ-Nath-Irathen, et sa prise de parole dans l’après-midi, pour dire la sienne, Alger, à sa manière. L’intermède musical avant l’entame de la conférence est un moment suggestif et une invitation à l’exploration de lieux connus ou inconnus, en tout cas rêvés et fantasmés et qui sont suggérés par les trémolos et les intonations de tristes et mélancoliques de la voix de Malek Kezoui, un jeune chanteur non voyant qui ajoutent à l’intensité émotionnelle du moment. Un pathos qui inspire cette dégression au romancier qui laissera parler sa sensibilité pour saluer l’artiste. «Malek est un chanteur non voyant pétri de talent, il a illuminé son auditoire par l’émotion et la sensibilité qui émanent de sa voix. Une voix sublime qui rappelle celle de Césaria Evora. La ballade amoureuse qu’il a interprétée est un voyage mélodique. J’ai l’impression d’être entre la Kabylie, le Cap et le Portugal», enchaînera Samir Toumi, toujours sur le mode du voyage et de la quête de l’ailleurs.
Ecrire pour réparer les mutilations de la mémoire
La suite est une leçon de littérature sur l’usage du «je», le rapport au temps et à l’espace de l’auteur interrogé sur d’autres artifices littéraires utilisés dans son roman. L’échange sur un ton, un tantinet polémique, de l’écrivain avec son auditoire permit à l’auteur de Alger, le cri de s’expliquer et de justifier ses choix narratifs et, notamment, l’usage du «je», les raisons de la sublimation de sa ville.
«Pourquoi vous avez écrit Alger se mérite ?» interpellent certains intervenants qui voient dans la formulation de l’auteur une sorte de quant-à-soi de sa part, un appel à l’enfermement et au rejet de l’autre. Un jeune étudiant interviendra avec pertinence pour dire à Samir Toumi que beaucoup d’éléments et de détails rencontrés dans son roman lui rappellent l’épisode de la madeleine dans "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust, un romancier pour qui le thème de la mémoire et de la recherche des souvenirs sont des éléments mis en texte pour faire ressurgir des impressions, une ambiance rappelant le passé, à travers l’ensemble de son œuvre romanesque.
Samir Toumi, Dans "Alger, le cri", laisse libre cours, par l’entremise de son narrateur, à ses pérégrinations mémorielles. Entre délires oniriques, les effluves de sa mémoire où se mêlent les odeurs, les sons, les bruits et les lumières d’Alger, Samir Toumi avoue que son roman est le récit de ses «déambulations» dans la ville qui l’a vu naître et grandir et qui servira d’espace-temps à son expérience scripturaire. «Alger est mon thérapeute», avoue Samir Toumi, ajoutant pour mieux s’expliquer sa démarche d’écriture que le «je» du narrateur est un «je introspectif».
S’ensuivent d’autres explications sur le livre qui a été identifié comme étant fait sur et autour d’Alger. «J’avais envie de libérer une parole personnelle, exercice compliqué auquel Alger a donné le la. Etant natif d’Alger, cette ville m’a tenu la main ; elle a compensé ma difficulté à parler de moi. Ma balade à travers Alger m’a permis de libérer mes émotions, de mes délires, de mon angoisse», une manière de dire l’indicible par les mots, selon Samir Toumi. «Je suis dans la quête du cri mais je me rends compte que le cri n’est jamais personnel», reconnaît-il, réfutant être dans la nostalgie et la célébration narcissique de sa ville. «J’ai dit Alger se mérite, en ayant le regard juste et le sentiment qui me lie à Alger, car on peut passer à côté de quelque chose, s’il nous manque un détail, ce ‘‘je ne sais quoi’’ qui nous lie à cet espace», dira Samir Toumi.
Roman introspectif qui sonde les méandres d’une mémoire et d’un vécu personnels. Par le jeu de la métaphore, Samir Toumi est dans la recherche d’un univers perdu, celui de son enfance et de son passé ; il s’attache, par le truchement de la mémoire involontaire, à la manière de Marcel Proust, à recréer et à se réapproprier un passé et un univers perdu et enfoui sous les couches successives du temps. Il reste que Alger, le cri qui, même s’il est le reflet d’une expérience et d’un parcours individuels, est aussi un roman qui interpelle et provoque des résonances chez tout le monde. En recréant une proximité avec des lieux, des événements, une époque révolue, une ambiance du passé transgressés par le présent, Alger, le cri est aussi, par extension, le miroir d’une mémoire, d’une conscience collective.
S. Aït Mébarek
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