mercredi 12 février 2014

L'Ecole des Arts et Métiers de Fort-Napoléon et de Dellys

L'utilisation des documents de ce blog est autorisée à condition de citer la source : larbaanathirathen.blogspot.com afin de conserver la traçabilité et la cohérence des données partagées.


L'école des Arts Métiers de Dellys fut construite en remplacement de l'école fondée à Fort-Napoléon en 1866 et détruite en 1871 lors de l’Insurrection Kabyle. 

C'est au hasard d'une recherche sur Dellys que j'ai trouvé des photos de l'Ecole des Arts Métiers qui m'ont servi pour reconstituer ce qu'à dû être celle de Fort-Napoléon, pour laquelle il n'existe pas d'archives graphiques. 

L'école des Arts et Métiers de Fort-Napoléon - 1866 à 1871

Fondation :
L'ouverture de cette école s'inscrivait dans la politique indigène des Bureaux Arabes, dont l'un des objectifs était d'apporter "progrès et émancipation aux indigènes" et se traduisit sur le terrain par la création d'écoles arabes-françaises, comme celle de Fort-Napoléon.

On apprend dans un article de X.Yacono sur les Bureaux Arabes que la création de l'école des Arts et Métiers de Fort-Napoléon était l'initiative d'Adolphe Hanoteau, commandant supérieur du cercle militaire en 1860 puis en 1866


"C’est le commandant Hanoteau qui, dès 1860, avait eu l’idée de fonder une « école d’artisanat » où l’on apprendrait à travailler le fer et le bois et qui fonctionnerait sous la forme mutualiste : elle fabriquerait des objets utiles et les bénéfices que procurerait leur vente seraient répartis entre les élèves sous la forme d’une solde."

Ce n'est sans doute pas un hasard que ce projet basé sur l'enseignement de l'artisanat ait été initié par ce polytechnicien qui avait consacré aux Kabyles, deux ouvrages essentiels : "Poésies populaires de la Kabylie du Djurdjura, texte et traduction" en 1867, et " La Kabylie et les coutumes kabyles" en 3 volumes publié en 1872, en collaboration avec Aristide Letourneux, conseiller à la Cour d'appel d'Alger.
Portrait d'A. Hanoteau (source BNF - Gallica)
Exemplaire de "La Kabylie et les coutumes kabyles" réédité par Bouchène en 2003

à la Bibliothèque du Musée de la ville de Tizi-Ouzou (mai 2013)



Localisation :

D'aprés les archives du CAOM, les travaux de l'école débutèrent en 1862 au lieu dit "La pépinière" et furent achevés en 1866 (La Conquête de la Kabylie, JP. Frapolli)

Un plan d'ensemble de Fort-National publié dans "L'Insurrection de la Grande Kabylie en 1871" du Colonel Robin montre une localisation approximative de l'Ecole au Nord du Fort.



Dans le fonds d'archives de Fort-National, l'Ecole des Arts Métiers n'est mentionnée que sur un plan de 1881 (10 ans après sa destruction...) avec l'indication d'un chemin allant vers la route d'Afensou et bifurquant immédiatement sur la droite, en descendant vers les groupes scolaires.



Descriptions de l'Ecole des Arts et Métiers de Fort-Napoléon :

Extrait tiré d'un exposé destiné au Sénat, décrit l'école en 1867 :

"ECOLE DES ARTS ET MÉTIERS DU FORT-NAPOLÉON. — Une école des Arts et Métiers a été créée au Fort-Napoléon, au cœur même de la Kabylie, afin d'enseigner le perfectionnement des arts industriels à ces populations éminemment intelligentes. Ouverte depuis deux mois à peine, cette école compte déjà quarante-cinq élèves qui étonnent leurs maîtres par leur intelligence et la rapidité de leurs progrès : ils fourniront bientôt des ouvriers capables de réparer et de confectionner l'outillage des usines, notamment des moulins à huile, qui se multiplient dans la circonscription de Dra-el-Mizan. [in: Exposé de la situation de l'empire, présenté au Sénat et au corps législatif : février 1867 / Ministère des affaires étrangèresAuteur : France. Ministère des affaires étrangèresÉditeur : Impr. de Dupont (Paris)Date d'édition : 1867"

Extrait étoffé tiré de "L’Insurrection de la Grande Kabylie en 1871", par le Colonel Robin : 
"Une des principales charges de la commune subdivisionnaire de Dellys a été la création et l’entretien de l’école des Arts et Métiers de Fort-Napoléon. Cette école construite sur un mamelon à 600 mètres en dehors de l’enceinte du Fort, avait été agencée de manière à recevoir 80 élèves.Le personnel de l’école se composait d’un directeur, qui était le capitaine du génie Damarey, d’un gérant, de 2 chefs d’ateliers, de 3 sous-chefs, d’un instituteur et d’un concierge.Les élèves étaient partagés en deux divisions, celle des ouvriers en fer et celle des ouvriers en bois.La durée des études était de 3 ans.Les ouvriers en fer passaient successivement aux ateliers de forge, d’ajustage et de serrurerie ; les ouvriers en bois passaient de même successivement aux ateliers de sciage, de charpenterie, de menuiserie, de tour et de charronnage.
Atelier de Fer - Ecole de Dellys - 1908 (source Delcampe)
Atelier de Menuiserie - Ecole de Dellys (source Delcampe)
En outre des travaux manuels, les élèves recevaient une instruction théorique comprenant la langue française, la lecture, l’écriture, le calcul, la grammaire, le tracé des ouvrages exécutés dans les ateliers, la pratique des épures de charpente ou autres.Les cours étaient interrompus pendant la durée du jeûne du ramadan, ce qui donnait un mois de vacances.A la fin des trois années d’études, chaque élève recevait un certain nombre d’outils de sa profession.
Les élèves devaient être âgés de 15 ans au moins et 25 ans au plus ; leur admission était prononcée par le général commandant la division. Les indigènes de toute la province pouvaient y être admis ; le prix de la pension, qui était de 500 francs, était payé par les communes subdivisionnaires.Une décision du général commandant la division, du 8 décembre 1868, avait répartir entre les communes subdivisionnaires autres que celle de Dellys la charge de 40 bourses ; si les communes subdivisionnaires ne trouvaient pas de titulaires pour les bourses qu’elles payaient, le général commandant la division en disposait à son grè.
Les élèves de l’école des Arts et Métiers appartenaient en grande majorité au cercle de Fort-Napoléon et même à la tribu des Béni-Raten. On pouvait admettre des élèves européens ; il y en avait 4 dans les derniers temps de l’école.Les élèves recevaient un salaire journalier de 1fr. 05 sur lequel on prélevait 5 centimes pour la masse ; ils devaient se loger et se nourrir à leurs frais. Les étrangers qui ne trouvaient pas à se placer dans des familles indigènes pouvaient être autorisés à loger à l’établissement et il était pourvu à leur nourriture au moyen d’une retenue sur leur salaire.Les élèves de chaque division classés les premiers recevaient un supplément de salaire de 10 centimes ; le nombre des hautes payes ne pouvait pas dépasser 6 pour toute l’école.
Les jeunes Kabyles sont intelligents et adroits et on a pu facilement en faire de bons ouvriers ; malgré cela les résultats obtenus n’ont pas été en rapport avec les dépenses que l’école des Arts et Métiers a occasionnées. On avait voulu faire grand et on avait installé des machines-outils mues par vapeur dont les élèves n’avaient aucune chance de se servir une fois sortis de l’école ; or, le charbon venu de France et transporté à Fort-Napoléon revenait à des prix fantastiques.
D’un côté, il faut le dire, la plupart des élèves n’avaient aucun désir, une fois sortis de l’école, d’exercer la profession qu’ils avaient apprise ; les parents les avaient fait admettre à l’école dans le but de s’attirer la bienveillance de l’autorité française. Un grand nombre de jeunes gens des Beni-Raten avaient trouvé avantageux d’obtenir sans trop de peine un salaire d’un grand par jour qu’ils n’auraient pas trouvé à gagner ailleurs.
[…] On comptait sur le temps pour éclairer les Kabyles sur les avantages qu’ils pourraient tirer d’une bonne instruction professionnelle qui leur permettrait de trouver du travail dans les ateliers européens ; mais le temps a manqué, l’école ayant été détruite pendant l’insurrection.
Pendant les quatre ans qu’elle a fonctionné, elle a produit un certain nombre de bons ouvriers qui ont répandu dans les tribu l’usage d’outils plus parfaits et les procédés de  travail qui leur ont été enseignés."
 La question de la réouverture d'une école professionnelle à Fort-National fût évoquée lors des sessions des Délégations Financières Algériennes, par la "Section kabyle", en la personne de M. Ouar Amar, délégué pour Fort-National. En voici l'extrait :




L'école des Arts et Métiers de Dellys - 1877 

Après la destruction de l'Ecole de Fort-Napoléon, la ville de Dellys - seul centre administratif et militaire important proche d'Alger - fut choisie pour recevoir une nouvelle école professionnelle.  

L'école des Arts et Métiers fut construite sur un plateau à l'Ouest de la ville.

Entrée principale de l'Ecole des Arts et Métiers de Dellys
Ecole des Arts et Métiers de Dellys - La Direction et les bureaux
 "Le 31 mai 1877 une délibération du conseil municipal de DELLYS mit à la disposition de l'état le terrain nécessaire et une participation financière de 50.000 F. La construction fut confiée aux Services des Ponts et Chaussées bâtiment et logement de direction, réfectoires, dortoirs, salles de cours, amphithéâtre, laboratoire avec matériel d'enseignement, vastes ateliers avec outillage, force motrice et éclairage électrique, pour assurer aux élèves par trois années d'études, une culture générale et professionnelle." (source : alger-roi.fr )

Le projet pédagogique de l'Ecole des Arts et Métiers de Dellys évolue vers des formations plus techniques qu'artisanales et devient l'Ecole Nationale d'Apprentissage de Dellys à partir de 1883.
Les promotions successives de l'ENP continuent de faire perdurer la mémoire de cette école dont on peut mesurer l'importance par les nombreux sites d'archives qui lui sont consacrés et qui témoignent de l'esprit particulier de cette grande Ecole.
Le Musée de l'Ecole






Transformations subies par l'Ecole dans les années 50/60
avec la suppression des toitures en tuiles au profit de toitures terrasses
et construction de nouveaux bâtiments. 
Le site Alger-roi donne un historique détaillé de l'école et de son organisation interne. 
Le forum Dellys partage des documents rare comme des bulletins, des médailles, des objets fabriqués, etc..

Les Fortins de Taguemount et Imaïsseren - 1892

L'utilisation des documents de ce blog est autorisée à condition de citer la source : larbaanathirathen.blogspot.com afin de conserver la traçabilité et la cohérence des données partagées. 
Fortin d'Imaïsseren - au dessus de la Daïra
Octobre 2013 
Un fortin militaire est un ouvrage défensif associé à une place fortifiée.
Édifié en un point stratégique, le plus souvent sur un sommet, il sert de poste d'observation avancé.

Les deux fortins défensifs de Fort-National furent projetés à partir de 1875 (source archives militaires) suite à l’insurrection Kabyle de 1871 et au remaniement de la citadelle.
Le fortin d'Imaïsseren (transcription française d'Imanseren) , situé au dessus de l'actuelle Daïra, permettait de contrôler la route d'Alger.
Le fortin de Taguemount, vers Aboudid, permettait de contrôler la route de Michelet et du Djurdjura.

Ils étaient dénommés ainsi car le fortin d'Imaïsseren se situait sur l'ancien village d'Imanseren, qui s'y trouvait avant qu'il ne soit saisi par l'Armée colinale et ses habitants contraints à l'exil vers des villages voisins, et à l'actuel "Imanseren" (source : témoignage d'un villageois)
Le fortin de Taguemount, lui a été bâti aux environs du village de "Taguemount Ihaddadene".



Ces deux édicules existent toujours et sont à présent des ruines à peine perceptibles dans le paysage, certainement voués à une destruction prochaine.
Les habitants les appellent "Tebana". 

Un 3e fortin fut construit quelques années plus tard, en contrebas de Fort-National et à une distance médiane entre les 2 grands fortins. Plus petit et plus discrètement implanté dans le paysage,  il faisait office de modeste poste de garde (article à venir)

LE FORTIN D'IMAISSEREN 
Fortin d'Imaïsseren au premier plan.
CPA 1910/20 - Edition du Petit Kabyle.

Ci dessous une vue intérieure du fortin côté Daïra, avec une silhouette donnant l'échelle. La pièce est un carré d'environ 5,50 m de côté.
En cliquant sur l'image vous pouvez accéder à une vue dynamique à 360° de l'intérieur (©lahloucherif - oct. 2013)


PLANS D'ORIGINE 
On reconnait sur la coupe ci dessous, la porte d'entrée du fortin et les 4 meurtrières de la photo précédente.
Coupe du Fortin de Taguemount
D'après plans des Archives Militaires de Vincennes / Fort-Napoléon Projet pour 1893 - le 15 décembre 1892
La porte d'entrée est située à env. 3m du niveau du sol extérieur.
Le sol intérieur avait un renfoncement central où se trouvaient les coffres à munitions et des banquettes sur les côtés pour les lits de camps des soldats. Ce creux existe toujours et apparaît sur les photos récentes.

L'épaisseur des murs large et pentue à la base pour solidifier la tour, diminue à chaque niveau afin d'alléger la construction.
Le plancher de la terrasse est fait de poutrelles métalliques à voûtains (petites voûtes en briques) comme dans la plupart des constructions coloniales de Fort-National.

Une échelle permettait d'accéder au niveau de la terrasse où se trouvent les espaces de la cuisine, le magasin pour les denrées alimentaires et les latrines.

Sur les plans on peut remarquer les nombreuses meurtrières. Les 2 angles saillants permettent de couvrir les façades en cas d'attaque et augmentent la vision latérale depuis le fortin. Dans la réalité, les angles saillants ont été construits sur les angles opposés à ce qui était prévu en plan.
Plans du Fortin de Taguemount
D’après plans des Archives Militaires de Vincennes / Fort-Napoléon Projet pour 1893 - le 15 décembre 1892
Ces plans, dont la légende détaille la fonction des espaces, laissent imaginer ce que devait être un tour de garde dans ces postes de surveillance. 
On y retrouve également le souci du détail des ingénieurs du Génie, mêlant les impératifs militaires à la réalité triviale des besoins humains : même les WC, à la turque, sont représentés sur la coupe avec le réseau d'évacuation vers une fosse et son regard de visite. 

Vue extérieure du Fortin d'Imaïsseren
Oct 2013
Vue intérieure du Fortin d'Imaïsseren
Gauche : le plancher s'est effondré à l'emplacement de la citerne
Droite : trou laissé par l'effondrement de l'angle saillant

LE FORTIN DE TAGUEMOUNT
Le fortin de Taguemount, situé sur la route d'Aboudid au dessus de Tizi n'Semlal est implanté sur des terrains en voie de densification , et à proximité d'un château d'eau, ce qui lui donne une configuration singulière.
Il est dans un état de délabrement encore plus avancé que son jumeau, puisque toute la partie supérieure est effondrée.
C'est un lieu qui toutefois conserve toute l'affection des jeunes habitants notamment, pour qui il a été le lieu de promenades, entre copains ou en amoureux, pour plusieurs générations ....

Photo prise en mai 2014 depuis une habitation voisine - © Lynda Ouar

Photo prise en mai 2014 depuis une habitation voisine - © Lynda Ouar
Le fortin de la Daira est l'un des édifices que nous avons ciblés pour une valorisation patrimoniale.
Sa position de point culminant à l'entrée de la ville offrant un panorama sur la région et sa taille relativement petite (8x8x8m) rendent l'intervention maîtrisable financièrement.L'objectif étant de requalifier les espaces tout en conservant son héritage architectural et paysager.

Le fortin pourrait accueillir un espace retraçant l'histoire de la région, ou autre lieu à vocation culturelle. L'aménagement de ses accès constituerait une promenade-découverte qui désenclavera ce site.