mercredi 2 septembre 2015

Fort-Napoléon, sur le Souk-El-Arba des Béni Raten. Tracé de l'enceinte définitive et distribution des établissements militaires - Plan du 23 juin 1857


"Fort-Napoléon, sur le Souk-El-Arba des Béni Raten.
Tracé de l'enceinte définitive et distribution des établissements militaires - Plan du 23 juin 1857"
signé par le Maréchal Randon et le Baron Chabaud de la Tour (=> "l'architecte")" 

Ce plan est trés important, d'abord car c'est le tout premier projet du Fort (qui sera modifié par la suite) mais surtout, parce qu'il représente le village d'Icheri3wen, "Icheraouia" dont il n'existe que peu de traces graphiques (son emprise existe sur 1 autre plan de 1857 ).

Il nous permet ainsi de situer précisément le village pré-existant à Fort-National, sur les hauteurs au niveau de la grande Caserne.
C'était un village d'environ 130m de long sur 45m de large (suivant échelle graphique du plan) et constitué de 80 maisons d’après E. Carey qui écrivait ceci dans "Récits de Kabylie" :

« Fort-Napoléon comprendra dans son enceinte le plateau entier de Souk-el- Arba, y compris le village d'Icheraouia, dont les maisons couvrent le sommet le plus élevé.

Le maréchal a fait offrir à ses habitants, qui, de tout temps, ont été fidèles à notre cause, de leur payer leurs maisons ou de leur en construire d'autres, à leur gré. Ils ont accepté l'argent, et opèrent déjà leur déménagement, vers les bourgades voisines. Moyennant 25,000 fr., les quatre-vingts maisons du village kabyle avec leurs jardins, cours et dépendances sont devenues propriétés de l'État. »

Comme vous l'imaginez, ça ne s'est pas tout à fait passé ainsi....
Les habitants d'Icher3iwen s'exilèrent en majeure partie à Tizi Rached.

Le village fût conservé quelques années comme logements des officiers, puis il fut rasé.
Sur le plan de 1862, le village n’apparaît plus; des casernements sont érigés à sa place jusqu'à la construction de la grande Caserne Rullières à partir de 1871

vendredi 21 août 2015

Balade littéraire avec Samir Toumi à Larbaâ-Nath-Irathen - Une invitation à l’anamnèse collective

Article de Said Ait Mebarek - Le Soir d'Algérie - 24 mai 2014
Photos : Bouchra Bendris 
Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen,  le 09 mai 2014 
avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen 


Rencontre sur le mode du voyage et de la recherche du temps perdu
Ce raccourci résume l’esprit de la balade littéraire autour du roman effectuée avec Samir Toumi invité, vendredi dernier, du café littéraire et philosophique de l’entreprise Emev dirigée par le dynamique Malek Amirouche dont l’initiative de déplacer ce rendez-vous littéraire, habituellement organisé à Tizi-Ouzou, vers la ville de l’ex-Fort-National, a donné un éclat particulier à un événement qui a permis la convergence de deux passionnés des mots et de la ville, en l’occurrence Samir Toumi, l’écrivain, et Lynda Ouar, l’architecte dont les quêtes obsessionnelles autour du temps et de l’espace sont une invite à l’anamnèse commune, un voyage dans le temps pour donner du sens à un présent tourmenté, une quête d’équilibre dans le chaos existentiel.

En véritable arpenteurs du temps, l’architecte et le romancier tentent, à travers leurs expériences respectives, d’explorer le passé pour reconstituer les pans d’une mémoire oblitérée par le temps et, par ricochet, une identité altérée par les contingences de l’existence.

De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen : les murs de la ville pour dire l’histoire
En guise de prologue aux mots de Samir Toumi dont la conférence s’est déroulée à la bibliothèque communale, l’architecte Lynda Ouar a proposé un voyage dans la mémoire architecturale de Larbaâ- Nath-Irathen. «De Fort-National à Larbaâ-Nath-Irathen» est le thème de la visite guidée que l’architecte a effectuée avec et au profit des jeunes lycéens et collégiens de l'association Tiddukla Tidelsant Igawawen



Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen,  le 09 mai 2014
avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen 

Un moment ludique, de découverte et de partage qui a permis à la vingtaine de filles et de garçons issus des collèges et lycées des Ath-Irathen de s’immerger dans le passé et l’histoire de leur ville dont la prise par l’armée coloniale, au XIXe siècle, et l’érection des fortifications autour de la cité dont ne subsiste, aujourd’hui, que peu de traces, marquent la domination totale de l’Algérie par l’armée d’occupation française. L’évocation de ce détail de l’histoire de la conquête française de la Kabylie est un témoignage aussi de la résistance héroïque des tribus kabyles à l’armada coloniale. 


Visite guidée à Larbaa-Nath-Irathen,  le 09 mai 2014 
avec les jeunes de l'association Tiddukla Taddelsant Igawawen 

L’architecte a illustré la balade touristique à travers les différents lieux historiques et les sites emblématiques de la ville par des photos de l’époque, des plans d’archives et des commentaires. Le récit qui permit de revisiter l’histoire d’une ville à laquelle les Français donneront le nom de Fort-Napoléon est une façon de «susciter une réflexion entre les acteurs institutionnels et les citoyens sur la valorisation et l’utilisation du patrimoine colonial dont le potentiel touristique peut devenir un levier économique important pour la région si des politiques adéquates sont mises en œuvre», explique la doctorante en architecture sur une page Facebook consacrée à son projet de promotion du passé urbanistique de sa ville dont les marqueurs essentiels sont des édifices et des ouvrages datant de l’ère coloniale. «Il ne s’agit pas d’un ressassement nostalgique, ni d’une célébration béate du passé colonial de notre ville, se défendent les organisateurs de la journée, mais une manière, ajoutent-ils, de se réapproprier une mémoire et une histoire marquée par les luttes, les sacrifices et la résistance populaire contre l’occupation coloniale française de l’Algérie». 


Déambulations littéraires et oniriques sur fond de recherche proustienne
«D’une ville à l’autre !» La formule est de l’auteur de Alger, le cri qui marque ainsi la transition entre les mots de l’architecte qui a évoqué la mémoire et les murs de sa ville, Larbaâ-Nath-Irathen, et sa prise de parole dans l’après-midi, pour dire la sienne, Alger, à sa manière. L’intermède musical avant l’entame de la conférence est un moment suggestif et une invitation à l’exploration de lieux connus ou inconnus, en tout cas rêvés et fantasmés et qui sont suggérés par les trémolos et les intonations de tristes et mélancoliques de la voix de Malek Kezoui, un jeune chanteur non voyant qui ajoutent à l’intensité émotionnelle du moment. Un pathos qui inspire cette dégression au romancier qui laissera parler sa sensibilité pour saluer l’artiste. «Malek est un chanteur non voyant pétri de talent, il a illuminé son auditoire par l’émotion et la sensibilité qui émanent de sa voix. Une voix sublime qui rappelle celle de Césaria Evora. La ballade amoureuse qu’il a interprétée est un voyage mélodique. J’ai l’impression d’être entre la Kabylie, le Cap et le Portugal», enchaînera Samir Toumi, toujours sur le mode du voyage et de la quête de l’ailleurs.





Ecrire pour réparer les mutilations de la mémoire
La suite est une leçon de littérature sur l’usage du «je», le rapport au temps et à l’espace de l’auteur interrogé sur d’autres artifices littéraires utilisés dans son roman. L’échange sur un ton, un tantinet polémique, de l’écrivain avec son auditoire permit à l’auteur de Alger, le cri de s’expliquer et de justifier ses choix narratifs et, notamment, l’usage du «je», les raisons de la sublimation de sa ville.


 «Pourquoi vous avez écrit Alger se mérite ?» interpellent certains intervenants qui voient dans la formulation de l’auteur une sorte de quant-à-soi de sa part, un appel à l’enfermement et au rejet de l’autre. Un jeune étudiant interviendra avec pertinence pour dire à Samir Toumi que beaucoup d’éléments et de détails rencontrés dans son roman lui rappellent l’épisode de la madeleine dans "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust, un romancier pour qui le thème de la mémoire et de la recherche des souvenirs sont des éléments mis en texte pour faire ressurgir des impressions, une ambiance rappelant le passé, à travers l’ensemble de son œuvre romanesque. 

Samir Toumi, Dans "Alger, le cri", laisse libre cours, par l’entremise de son narrateur, à ses pérégrinations mémorielles. Entre délires oniriques, les effluves de sa mémoire où se mêlent les odeurs, les sons, les bruits et les lumières d’Alger, Samir Toumi avoue que son roman est le récit de ses «déambulations» dans la ville qui l’a vu naître et grandir et qui servira d’espace-temps à son expérience scripturaire. «Alger est mon thérapeute», avoue Samir Toumi, ajoutant pour mieux s’expliquer sa démarche d’écriture que le «je» du narrateur est un «je introspectif». 

S’ensuivent d’autres explications sur le livre qui a été identifié comme étant fait sur et autour d’Alger. «J’avais envie de libérer une parole personnelle, exercice compliqué auquel Alger a donné le la. Etant natif d’Alger, cette ville m’a tenu la main ; elle a compensé ma difficulté à parler de moi. Ma balade à travers Alger m’a permis de libérer mes émotions, de mes délires, de mon angoisse», une manière de dire l’indicible par les mots, selon Samir Toumi. «Je suis dans la quête du cri mais je me rends compte que le cri n’est jamais personnel», reconnaît-il, réfutant être dans la nostalgie et la célébration narcissique de sa ville. «J’ai dit Alger se mérite, en ayant le regard juste et le sentiment qui me lie à Alger, car on peut passer à côté de quelque chose, s’il nous manque un détail, ce ‘‘je ne sais quoi’’ qui nous lie à cet espace», dira Samir Toumi. 

Roman introspectif qui sonde les méandres d’une mémoire et d’un vécu personnels. Par le jeu de la métaphore, Samir Toumi est dans la recherche d’un univers perdu, celui de son enfance et de son passé ; il s’attache, par le truchement de la mémoire involontaire, à la manière de Marcel Proust, à recréer et à se réapproprier un passé et un univers perdu et enfoui sous les couches successives du temps. Il reste que Alger, le cri qui, même s’il est le reflet d’une expérience et d’un parcours individuels, est aussi un roman qui interpelle et provoque des résonances chez tout le monde. En recréant une proximité avec des lieux, des événements, une époque révolue, une ambiance du passé transgressés par le présent, Alger, le cri est aussi, par extension, le miroir d’une mémoire, d’une conscience collective. 


S. Aït Mébarek



dimanche 25 janvier 2015

Les otages des Beni Raten - article de l'Illustration - juillet 1857


L'utilisation des documents de ce blog est autorisée à condition de citer la source : larbaanathirathen.blogspot.com afin de conserver la traçabilité et la cohérence des données partagées. 

Suite à la prise de Souk el Arba le 24 juin 1857, les chefs de la tribu des Ath Irathen furent contraints de livrer des otages en gage de soumission. Les 62 otages furent détenus au fort Bab-Azoun à Alger.
L'article "Les Béni-Iraten" paru dans l'Illustration de Juillet 1857 s'attache à décrire la tribu, son territoire, ses caractéristiques, faisant aussi référence à une description d'Ibn Khaldoun.
Quelques otages, dont deux chefs influents des Ath Irathen, sont choisis pour illustrer "les types des différentes têtes" des populations "kébaïles".
L'article est retranscrit intégralement en bas de page.

Mise en page générale




L'article : 
" Les Beni-Iraten


Le Tizi-Ouzou, le Col des Genêts en berbère, est dans la direction d’Alger à Bougie, la vraie porte de la Kébaïlie ; de tous les points par lesquels on peut entrer dans ce difficile pays, c’est incontestablement le plus facile.
Les Romains l’avaient reconnu aussi bien que nous, et de leur temps il était traversé par la grande voie qui leur avait servi à contenir les montagnards djerdjeriens.

Le nouvel établissement de Tizi-Ouzou, le point d’appui le plus important de nos opérations en Kébaïlie, n’était, il y a encore peu de temps, qu’une simple maison de commandement. Aujourd’hui il a acquis, sous l’influence de circonstances passagères, il est vrai, presque l’importance d’une ville, on vient de le mettre en rapport avec Alger par un service régulier de voitures : la distance est de 95 kilomètres.

Si de Tizi-Ouzou les regards se portent vers l’Orient, ils parcourent toute la belle et large vallée de l’Ouêd-Sebaou, qui coupe, pour ainsi dire, la Kébaïlie en deux parties : à gauche, ils s’arrêtent sur la longue chaîne littorale qui va de Delhi( ?) à Bougie ;  à droite sur les deniers ressauts de tous les contre-forts qu’envoient au loin les hautes cimes du Djerdjera, et les plateaux profondément ravinés du territoire des Zouaoua, ressauts escarpés, aux pentes abruptes, tout hérissés de roches, plongeant sur la vallée comme pour défendre l’accès des régions intérieures.

Parmi les populations installées sur ces versants et ces groupes plus ou moins roides, plus ou moins tourmenté, se trouvent les Beni-Iraten ou, comme nous les appelons communément, Beni-Raten, la rencontre des deux voyelles en ayant fait disparaître une, l’initiale, du mot le plus car il faut écrire et dire Iraten, comme le disent les indigènes eux-même.

Leur territoire, limité au nord par l’Ouêd-Sebaou, resseré à l’est et à l’ouest par deux affluents de cette rivière, est, du reste peu étendu ; il représente tout au plus 16 000 hectares. La partie la plus haute du pays est au sud ; c’est une crête assez allongée, dont le point culminant est connu sous le nom d’Abou-Dîd, et d’où partent deux chaînons secondaires qui, s’éloignant l’un de l’autre jusqu’à leur terme, donnent à la charpente générale du sol la forme d’un Y incliné à gauche. J’ai dit en commençant que le Tizi-Ouzou était l’une des portes de la Kébaïlie ; les Beni-Iraten, dont le territoire commence à 8 ou 10 kilomètres de là, s’en sont pour ainsi dire, regardés comme les gardiens à toutes les époques de leur histoire ; et il faut dire qu’ils ont noblement rempli ce rôle volontaire.

Voici ce que dit d’eux un écrivain arabe du quinzième siècle, Ibn-Khaldoun. On les retrouvera, dans ce passage, ce qu’ils se sont montrés il y a quelques jours à peine.

« Les Beni-Raten occupent, avec les Beni-Fraousen, leurs voisins, les montagnes situées entre Bougie et Delhi ( ?). C’est une retraite des plus difficiles à abordé, des plus faciles à défendre ; aussi bravent-ils de là la puissance du gouvernement de Bougie, et ils ne paient l’impôt qu’autant que cela leur convient.
De nos jours, ils se tiennent sur cette cime élevée, et défient les forces du sultan, bien qu’ils en reconnaissent l’autorité. Leur nom est même inscrit sur les registres de l’administration comme tribu soumise à l’impôt.
Sous la dynastie sanhadjienne, ce peuple tenait un rang très distingué autant durant la guerre que pendant la paix. Il avait mérité cet honneur en se montrant l’allié fidèle de la tribu de Ketama depuis le commencement de l’empire fatémide ».

A cette époque, il est vrai, ils étaient beaucoup plus puissants. On se rappelle quelle est l’étendue de leurs territoires ; c’est tout ce que leur ont laissé les guerres intestines et les empiètements des Turks. Sur cette surface vivent dans 31 villages, 20 à 22000 âmes qui comptent environ 7000 fantassins armés.

Il faut avouer que quand on a eu devant soi les premiers soldats de l’Europe, il eût été assez singulier d’être arrêté par de telles forces,
  fussent-elles augmentées des contingents fournis par les tribus voisines.
En enlevant toutes les positions des Beni-Raten avec cet entrain que l’on sait , en dominant le pays après quelques heures de combats, nos soldats ont montré une fois de plus que, s’ils ne dédaignent aucun adversaire, ils savent triompher facilement des résistances les plus opiniâtres. A l’heure qu’il est les Beni Raten ont abandonné toute idée d’indépendance, et la construction du Fort-Napoléon au centre de leur pays, leur apprendra qu’il ne leur reste plus qu’à se rallier franchement à nous, en imprimant à leur énergie, à leurs travaux, une direction utile et profitable pour tous.

La tribu a « donné comme gage de sa soumission soixante deux otages qui viennent d’être enfermés au fort Bab-Azoun , à Alger. C’est parmi eux que M. Lauret a choisi les types des différentes têtes qui accompagnent cet article.

Les Beni-Iraten ont le type de toutes les populations kébaïles, type dans lequel on reconnaît toujours celui de la race berbère, mais un peu vague, légèrement effacé, incertain peut-être, comme lorsque les traits ont gardé les traces de plus d’un mélange.

A les voir dans l’immobilité de l’attente, ils ont d’assez bonnes figures, si voisines de celles de nos races européennes qu’on leur donnerait évidemment, avec de tout autres costumes, une toute autre origine ; et cependant, au premier abord, l’ensemble de leur physique a un caractère de dureté qui frappe, empreinte éternelle laissée sur leurs fronts comme un stigmate par le rude travail qui est le partage de toute leur existence.


Ce labeur de la montagne n’est pas celui de la plaine, où tout est facile : là, il faut lutter contre une nature qui fait chèrement payer ce qu’elle donne avec une parcimonie étrange ; il faut s’armer sans cesse de courage et de patience ; aussi est-ce là le caractère distinctif du montagnard qui acquiert avec peine, mais qui sent ainsi bien plus vivement le prix de ce qu’il a acquis, et qui, habitué à surmonter les obstacles, enhardi par la position, confond bientôt son travail avec la grande indépendance d’action dont il a tant besoin, toujours prêt d’ailleurs à défendre l’une et l’autre avec la même énergie. » O. Mac-Carthy. L’Illustration. juil. 1857